D’UNE PIERRE DEUX COUPS

Rendez-vous dans la typique maison lorraine de manouvrier de Marc DEMARNE, né le 19 juillet 1705 à Pierreville en Lorraine.

Tu seras Marc mon rendez-vous ancestral de ce mois où le généathème propose de mettre à l’honneur un Paysan de notre généalogie … En hommage au salon de l’agriculture qui se tient à Paris en ce mois de février 2022

Quand l’heure du rendez-vous ancestral se cale sur celle du généathème, le principe de « se rendre dans l’époque de son ancêtre » me propulse dans la demeure d’un modeste manouvrier … Agriculteur sans terre.

Au cœur de la lorraine rurale

C’est à Pierreville que naquit Marc, fils puiné de Claude DEMARNE et de sa légitime épouse Claudette PETITJEAN.

Plan de Pierreville – Extrait de la monographie de 1899

Le petit Marc est donc le second des enfants nés de l’union de ses parents … En 1702, quelques semaines juste après le mariage de Claude et Claudette, un premier fils est né, qui ne vivra qu’une courte journée … Vint ensuite Marc, mon Sosa 396, qui sera suivi de 13 autres enfants … dont au moins cinq ne vivront pas plus de quelques jours … Marc vivra donc la vie de l’ainé de la famille.

Pierreville, lieu de vie de Marc, de ses parents et de sa fratrie, est un petit village qui s’étend sur 2,9 km² et comptait 311 habitants au recensement de la population de 2007…. Le plus ancien comptage de la population date de 1793 et répertoriait alors 119 habitants…. Autant dire que c’est vraiment un tout petit village rural.

Passée son enfance, Marc se marie :
Les fiançailles ont lieu le 14 août 1728 et le 7 septembre à Pierreville est célébré le mariage des deux amoureux … Catherine HENRY, la mariée de 28 ans est la fille du « régent d’école » … Les jeunes mariés savent tous les deux signer, ainsi qu’en atteste leur acte de mariage.

Assez rapidement, le jeune couple commence à fonder sa famille …. leur premier enfant, un petit garçon, Louis, vient au monde …. le 29 décembre 1728

…. oups

Le jeune couple est à peine marié depuis …. 4 mois !!

Hélas, tout porte à croire que Louis décèdera jeune …. puisqu’en 1740 Marc et Catherine verront naitre leur 8ème enfant, un autre petit Louis – mon aïeul …. Anne et Nicolas, nés en 1744 pour l’un et 1745 pour l’autre, seront les 9ème et 10ème enfants du couple.

Une famille nombreuse donc …. 10 enfants …. 3 filles et 7 garçons verront le jour

Une vie de labeur, rythmée par les naissances et les drames

Marc est manouvrier

Pratiquement situés au bas de l’échelle sociale, les manouvriers constituent néanmoins un élément important de la diversité sociale du monde rural. En quoi consiste cette profession fréquemment répandue dans les registres paroissiaux de l’Ancien régime ?

Les manouvriers, manouvres, brassiers ou journaliers sont des paysans qui travaillent de leurs mains, avec des outils rudimentaires en bois, parfois relevés de fer (bêche, fourche, faucille, rarement une faux). Ils se distinguent surtout par le fait qu’ils ne possèdent pas de bêtes de labour, de trait, de somme, ou même de bât et n’ont jamais de cheval (trop cher !).

Souvent, les manouvriers sont obligés de contracter avec un riche citadin un bail à cheptel pour avoir quelques surplus de provisions (lait, beurre, fromage…). Plus généralement, et c’est là leur spécificité, ils vont louer, à la journée, leurs bras, leur force de travail, auprès d’un exploitant agricole plus riche qu’eux.
Ainsi, lorsqu’une main-d’œuvre supplémentaire est nécessaire, c’est-à-dire de mai à octobre au moment des fenaisons, moissons ou vendanges, ils deviennent ouvriers agricoles occasionnels ou domestiques de fermes. Ils effectuent alors un travail pénible, de l’aube au crépuscule, pour un maigre salaire : parfois un peu d’argent, souvent un petit pourcentage sur leur travail, et plus souvent encore une réduction de leurs dettes.

En dehors des périodes d’embauche, ils ont régulièrement recours à des activités annexes : braconnage, travail de la laine ou du chanvre, confection de toiles « en cru » (écrues), travail du métal (fabrication de clous ou d’aiguilles), maçonnerie, travail du bois, bûcherons ou charbonniers dans les forêts.
Malgré ces diverses activités, les manouvriers subsistent avec peine et ne sont jamais à l’abri de difficultés majeures : une maladie, un accident de travail, un décès peuvent jeter dans la misère toute une famille car les provisions sont peu importantes

Ainsi, Marc mène une vie précaire et de dur labeur, tandis que …
Catherine se charge de la maison, de la couture, de la lessive et des enfants … Tout en entretenant un potager dans le jardin de la maison …. Elle y cultive des pois et des fèves pour la bouillie (nourriture de base), des choux, des raves, des poireaux, des blettes, quelques fruits.
Catherine et les enfants s’occupent également du cheptel vif, quelques brebis ou chèvres qui broutent sur les chemins, un ou deux cochons, quelques poules, un coq, une vache peut-être.

Mais il est une chose sur laquelle ni Marc ni Catherine ne transigeront … INSTRUIRE leurs enfants, tous leurs enfants, de l’ainé au dernier né, filles comme garçons, tous les petits Demarne sauront lire et écrire… Condition sine qua non pour s’élever dans la hiérarchie sociale.

Manouvrier … Marc Demarne, mon paysan, agriculteur pauvre,
travaillant pour le laboureur,
dépendant en toute chose –ne possédant ni charrue, ni attelage …

« Jean Marc sans terre »
Raconte-moi ta maison

La caractéristique principale de l’habitat rural Lorrain est que la maison est partagée par les hommes, les bêtes et les réserves …  Le laboureur ne dispose pas de la même maison que le manouvrier, l’un ayant matériel et bêtes y compris de travail tandis que l’autre n’a guère que ses bras, et peu de bêtes … Aussi sait-on au premier coup d’œil reconnaitre la modeste maison du manouvrier

Typiquement, Les maisons -mitoyennes- s’alignent le long d’une rue unique en Lorraine … le village-rue …  Devant la maison on trouve « l’usoir » un espace communal, compris entre les bâtiments et la bordure de la route, qui servait de support aux fumières, et d’entreposage du bois de chauffage … Le plus opulent fermier étant celui qui a le plus gros tas de fumier devant sa maison-ferme…. hum la bonne odeur qui devait s’en dégager.

Mais étant donné le plan issu de la monographie de Pierreville, je penche plutôt pour un « village tas » – tout aussi typiquement Lorrain- où les demeures s’organisent de manière anarchique afin d’épouser les contraintes du terrain.

« Alors, mon cher Marc, mon cher 6AGP … Ta maison, comment est-elle ?? »

« Chère petite descendante, ma douce et moi vivons dans une toute petite maison qui nous abrite avec nos bêtes … une vache, deux biquettes, quelques poules et le cochon … le Cochon est sale, c’est pourquoi, il n’a qu’un réduit à l’extérieur, mais avec une belle vue sur le jardin (le potager) de Catherine »

« Notre maison possède deux travées, mais un seul « rain » … C’est que nous ne sommes pas bien riches »

« Notre demeure n’a qu’une seule ouverture sur la rue (maison à 1 rain) , La grange sert aussi de vestibule à la cuisine – aveugle- et à l’écurie (nom courant pour « étable »)

Le « poële » est la pièce unique où couche presque tout le monde, elle possède une fenêtre … Nos voisins alsaciens disent la « stüb.»

J’avais dans l’idée de construire un fournil, surtout pour Catherine, mais le temps et les moyens m’ont manqués.

Les greniers s’étendent sur tout l’étage supérieur, au-dessus de l’écurie et des pièces d’habitation, on y serre les provisions et récoltes.

Notre écurie est occupée par la vache, et nos 2 brebis »

« Nous entrons dans la maison par la grange, c’est bien pratique pour se décrotter et aller partout … Certains ont fait dans leur cuisine une « flamande », (puits de lumière ouvert à travers la toiture pour éclairer la cuisine) mais nous on n’en a pas … Suffit de laisser ouverte la porte du « poële » et avec le feu de la cheminée, on y voit bien assez »

« Mais, dis-moi, tous vos enfants couchent dans le poële ? la pièce doit être grande !! »

« Ha bah, non pour le coup, les garçons, mes fils, dès 5 ans sont logés avec le bétail dans l’ « étable-écurie », séparés des animaux par une mince cloison pour profiter de la chaleur des bêtes, ils y sont très bien … Les filles oui, elles dorment dans la « belle chambre », tu sais il y fait bon avec le foyer juste de l’autre côté du mur, ça nous réchauffe bien *»

« Tout le confort en somme »

« ha pour ça oui, nous sommes bien chanceux d’être aussi bien logés, au chaud, avec un jardin pour nous nourrir »

* Tout fier de cette possession, Marc m’expliqua qu’ils avaient une taque dans la cheminée
(Plaque de fonte appliquée sur le fond d’une cheminée) … La cheminée à l’âtre chauffe
la belle pièce grâce à la taque laquelle est souvent cachée par une armoire murale.

Maison à deux travées

Marc et Catherine s’éteindront à l’âge de 69 ans pour Marc et environ 88 ans pour Catherine …. Deux honorables vieillards …. Qui auront consacré leur vie au travail, à l’épargne et à leurs enfants.

Louis, leur fils …. leur 8ème né …. et mon ancêtre … sera vigneron …. Un statut supérieur à celui de manouvrier, une de leur fille épousera un maitre d’école, un autre fils sera laboureur, propriétaire de ses terres ….. La  troisième génération migrera à quelques 20 km … Nancy, où mon ancêtre confiseur officiera.

Marc et Catherine auront gagné leur combat contre la misère
Si ce n’est pour eux, pour leurs enfants , leurs petits enfants …. et tous leurs descendants

Un long chemin pour quitter le précaire et rude travail de la terre
Et s’ancrer dans la ville …. Nancy …. 20 km plus loin

Il aura fallu 4 générations et 110 ans pour parcourir ces 20 km qui séparent
MARC DEMARNE de Joseph Pennequin

6 réflexions sur “D’UNE PIERRE DEUX COUPS

  1. Il est bavard Marc et bien documenté pour notre plus grand plaisir,
    en Savoie, en montagne, existe aussi le poêle mentionné dans des actes d’achat ou inventaire

  2. J’ai grandi dans un petit village en dehors de Nancy. Les tas de fumiers étaient encore de mise devant les maisons et n’ont disparu que dans les années 60 si je me rappelle bien. La maison que mon grand-père louait quand il est venu habiter plus près de nous, avait une grande flamande dans la cuisine, sans cela la seule lumière serait venue de la salle de devant qui malheureusement était toujours à l’ombre à cause de l’église qui trône au milieu du village. Il y avait des filles de Pierreville dans ma classe au « cours complémentaire ». Et en tant que vieille institutrice, compliments à votre ancêtre Marc pour avoir assuré l’éducation de TOUS ses enfants.

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